LETTRE PASTORALE
Des Pères du concile de Soissons au clergé et aux fidèles de la province ecclésiastique de Reims
Par Mr Mgr de Garsignies
Orateurs sacrés, par M. l’Abbé MIGNE, T. 85, 1856, pp. 976-998
Il nous tardait, nos Très chers frères, d’épancher dans votre cœur toute la joie dont le nôtre a été rempli, depuis qu’il nous a été donné de nous réunir en concile, et de conférer ensemble sur vos intérêts spirituels. Ces assemblées épiscopales, que le concile de Trente prescrit d’une manière formelle (sess. 24. De reform., c. 2), et que l’Eglise réclamait avec instance, où les pasteurs des âmes combinent leurs efforts pour conserver intact le dépôt de la foi et assurer la fidèle observance des préceptes évangéliques, pour veiller au maintien de la discipline, pour extirper les vices et réformer les abus; ces assemblées si utiles, si nécessaires, la France, depuis longtemps, ne les connaissait plus; cette province, en particulier, n’en avait pas joui depuis plus de deux siècles; et, à un moment inattendu, nous les avons vues, par une permission toute spéciale de Dieu, se rétablir sur plusieurs points de la France; nous-mêmes, réunis à Soissons au mois d’octobre de l’année dernière, nous avons pu, par expérience, en reconnaître tout le prix, et nous écrier avec le Prophète royal: Qu’il est avantageux, qu’il est doux pour des frères de se trouver ensemble ! C’est là que le Seigneur répand la bénédiction et la vie[1] . Animés par le même esprit, dirigés par la même pensée, celle de procurer votre plus grand bien, nous avons réglé, d’un commun accord, plusieurs questions importantes touchant la liturgie, l’administration des sacrements, les obligations du clergé, le rétablissement des officialités, le développement et le progrès des études ecclésiastiques. Ce que nous avons décidé sur toutes ces questions, nous l’avons soumis à l’examen et au jugement du saint Siége, ainsi que le prescrivent les saints canons. Nous avons eu la consolation de voir nos travaux bénis par le vicaire de Jésus-Christ. La sacrée congrégation des cardinaux, chargée d’office, par notre saint-père le pape, de revoir et d’approuver les décrets des conciles particuliers, a couvert de son autorité les décisions du concile de la province de Reims, en sorte que nous pouvons vous dire avec confiance : les décrets que nous vous présentons sont en tout conformes à l’esprit de notre mère la sainte Eglise romaine, la mère et la maîtresse de toutes les Eglises. Vous recevrez donc ces décrets, N. T. C. F., comme des enfants dociles, et vous les observerez fidèlement, en ce qui vous concerne, comme, avec le secours d’en haut, nous les observerons nous mêmes pour tout ce qui regarde nos obligations envers ceux que Dieu a confiés à notre sollicitude pastorale.
Cet heureux succès de nos travaux, nous ne l’attribuons pas à nos mérites, mais bien à la ferveur des prières que vous avez adressées pour nous à l’auteur de tout don parfait. Imploré par vous, le Père des lumières a daigné nous visiter et accomplir à notre égard cette promesse faite aux apôtres: Partout où seront deux ou trois personnes réunies en mon nom, je serai au milieu d’elles[2] .
Dans ce vaste corps que le Sauveur a décoré du nom de son Eglise, N. T. C. F., tous les membres concourent au même but: le maintien et l’observance de la véritable doctrine. C’est là que tendent, et le pasteur qui enseigne, et le fidèle qui écoute; c’est là que viennent aboutir la vigilance de l’un et la docilité de l’autre; le premier est certain de ne point semer l’erreur, le second de ne point la recevoir, tant qu’ils restent intimement unis au corps de l’Eglise, invariablement attachés à son chef visible, que Jésus-Christ lui-même a établi, dans la personne de saint Pierre et de ses successeurs, sur le siège de Rome. La soumission à l’Eglise et au siége apostolique est pour tous, la condition nécessaire de la vraie foi.
Gardienne de la doctrine de Jésus-Christ l’Eglise, en effet, met toute sa vigilance à la conserver pure et intacte; elle ne souffre pas qu’il vienne jamais s’y glisser rien de contraire à la parole de Dieu. La doctrine que je vous donne, nous dit-elle, n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyée[3]. Elle n’a rien de nouveau: c’est la doctrine ancienne, telle que je l’ai reçue dès le commencement[4]. Les écrits de tous les docteurs qui ont développé la parole apostolique depuis l’origine jusqu’aux temps rapprochés du nôtre, sont pour elle comme de vastes archives où sont consignées les preuves de son enseignement immuable; c’est comme une série non interrompue de témoins qui attestent la perpétuité et l’intégrité de sa foi. L’ennemi cherche-t-il à semer l’ivraie dans le champ du père de famille, à propager parmi les chrétiens quelque doctrine inouïe jusque-là: en vertu de cette solidarité qui unit tous les pasteurs dans un même sacerdoce, un même épiscopat, le cri d’alarme poussé sur un point est aussitôt répété de toutes parts, et devient un cri général de réprobation. On oppose au novateur la croyance antique, la croyance universelle, la majesté des Pères, le témoignage unanime de toutes les parties de l’Eglise, parce que la véritable croyance est celle qui nous est transmise par les Pères; c’est celle qui a été admise dans tous les temps, dans tous les lieux, par tous les fidèles. Quiconque voudrait enseigner autre chose, et modifier l’Evangile que nous avons reçu, quand ce serait un ange venu du ciel, nous n’hésiterions pas à lui dire anathème[5].
Ce caractère d’antiquité el d’universalité donne à l’enseignement de l’Eglise une autorité bien respectable, sans doute; mais cette autorité repose aussi sur des bases infiniment plus certaines et plus solides, c’est-à-dire sur les promesses du divin fondateur, qui en établissant son Eglise, a déclaré qu’il la bâtissait sur une pierre fondamentale contre laquelle les portes de l’enfer ne prévaudrait jamais[6]. Allez, disait-il à ses apôtres, en les quittant, allez, enseignez toutes les nations; baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; apprenez-leur à observer toutes les choses que je vous ai prescrites. Voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles[7]. Et ailleurs : Celui qui vous écoute m’écoute; celui qui vous méprise me méprise[8]. Le Sauveur a promis d’être avec ceux qu’il envoie, non seulement quand ils baptiseront, pour attacher ses grâces à leur baptême, mais aussi quand ils enseigneront, pour préserver leur doctrine de toute erreur. Il a promis d’être avec eux, non seulement à certaines époques, mais tous les jours; non pas avec eux seuls, et pour un temps, mais avec tous leurs successeurs, jusqu’à la consommation des siècles. Ainsi, aujourd’hui encore, c’est écouter Jésus Christ que d’écouter ceux que l’Eglise a chargés de parler en son nom; aujourd’hui l’Eglise est infaillible comme au premier jour, puisque, selon sa promesse, Jésus Christ n’a pas cessé et ne cessera jamais d’être avec elle. Je prierai mon Père, disait-il encore dans une autre occasion, et il vous enverra un consolateur pour demeurer éternellement avec vous: ce consolateur, c’est l’Esprit de vérité, qui sera et demeurera en vous; c’est Cet Esprit qui vous instruira et vous rappellera tout ce que je vous ai dit[9]. C’est donc le même Esprit de vérité qui s’exprime encore aujourd’hui par la bouche des pasteurs, comme il s’exprimait autrefois par la bouche des apôtres, puisqu’il doit demeurer éternellement avec l’Eglise. Elle ne peut donc, en aucun temps enseigner l’erreur; autrement il faudrait dire que l’Esprit de vérité s’est retiré d’elle, que les portes de l‘enfer, c’est-à-dire les fausses doctrines, ont prévalu; que les promesses de Jésus-Christ sont restées sans effet: ce qu’ou ne peut avancer sans blasphème.
Et si l’enseignement de l’Eglise est la voie qui conduit le plus sûrement à la connaissance de la vérité, ne pouvons-nous pas ajouter que c’est en même temps la voie la plus commode à suivre? Le Sauveur, dit saint Paul, a établi dans l’Eglise des apôtres et des évangélistes, des pasteurs et des docteurs, pour travailler à l’édification du corps mystique de Jésus-Christ, jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’unité d’une même foi, à une même connaissance du Fils de Dieu, et que nous ne soyons plus flottants comme des enfants, ne nous laissant plus emporter à tout vent de doctrine par la malice des hommes et par l’adresse qu’ils ont à nous envelopper dans l’erreur[10]. C’est à ce corps des pasteurs qu’a été confié le soin de diriger les fidèles dans le sentier de la vérité, de les maintenir dans l’unité de foi; c’est là le but de leur institution: il suffit de les écouter et de les suivre pour n’être pas exposé à s’égarer au milieu des nombreux systèmes qui tendent à diviser les esprits. Venez à nous, dit un prétendu sage; chez nous se trouve la vérité. Non, dit un second, c’est nous qui possédons la vraie doctrine du Christ; nous avons le secret de rendre les hommes meilleurs en même temps que plus heureux. Celui-ci étale de brillantes théories, celui-là ses œuvres de bienfaisance; l’un fait valoir l’austérité de ses principes, l’autre la douceur de sa morale. Incertain, irrésolu, le fidèle hésite un moment entre ces différents docteurs, sans savoir auquel il doit donner la préférence. Mais il regarde, il écoule celui qui représente l’évêque: ses doutes sont éclaircis; celui qui lui parle est pour lui un guide sûr, parce qu’il est comme l’organe de l’Eglise, qui ne se trompe jamais. Tout faillible qu’il est personnellement, il participe en quelque sorte à l’infaillibilité de l’Eglise, car il est uni à son évêque, qui est lui-même en communion avec les autres évêques, et principalement avec le souverain pontife qui occupe la chaire de Pierre, cette chaire où l’erreur ne peut jamais s’asseoir.
En vain le schisme et l’hérésie cherchent à séduire les âmes en se disant l’Eglise de Jésus-Christ: le vrai fidèle ne se laisse pas surprendre. Au milieu de ces divers édifices de construction plus ou moins récente, et tous bâtis par la main des hommes, il distinguera toujours le véritable, le seul qu’ait élevé le divin architecte. Aura-t-il besoin d’examiner les différentes doctrines, de constater leur degré de conformité ou d’opposition avec l’Evangile? Non : ses lumières seraient plusieurs fois en défaut. Le Seigneur lui a donné un moyen plus simple. Qu’il regarde la pierre fondamentale, en se souvenant de ces paroles du Sauveur: Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise[11]. Là où est Pierre, là est l’Eglise[12]; là, par conséquent, est Jésus Christ qui a promis d’être toujours avec elle. Toute société qui ne s’appuie pas sur Pierre ne repose pas sur Jésus-Christ. Qu’importe que sa doctrine soit brillante, que son chef ait un nom célèbre, que ses adeptes soient nombreux: la vérité n’est pas là. A toutes les questions qui lui sont faites, le chrétien répond avec saint Jérôme: « De toutes les doctrines que vous me vantez, s’il en est une qu’approuve l’Eglise, c’est celle là que j’adopte ; de tous les génies dont vous me citez les noms, s’il en est un qui soit uni au siége de Pierre, c’est à celui-là que je m’associe. C’est à l’Eglise romaine que je m’attache d’une manière inséparable; car je sais que celui qui mange l’agneau hors de celle maison est un profane; je sais que celui qui ne demeure pas dans cette arche doit périr au temps du déluge,» (Epist. 15, ad Damas.) Il n’est donc pas besoin de lumières extraordinaires, d’études spéciales, de recherches pénibles, d’examen approfondi, pour découvrir les vérités de la foi: il suffit de s’en rapporter à l’Eglise, qui est, suivant l’Apôtre, la colonne et la base de la vérité[13]. De même que le nautonnier, au milieu des ténèbres, sous un ciel obscur et sans étoiles, tend néanmoins directement vers son but, guidé qu’il est par sa boussole, de même aussi, guidé par son curé que dirige son évêque, et qui, lui même, est dirigé par le chef de l’Eglise, le fidèle va droit à la vérité, à travers le dédale des opinions humaines; et là où sa faible raison aurait sombré, l’Eglise le fait voguer à pleines voiles et arriver heureusement au rivage.
En faisant reposer son Eglise sur un fondement unique, le Sauveur n’a pas eu seulement en vue de la maintenir dans l’unité de foi; il a voulu aussi la rendre stable à jamais; c’est pourquoi il a communiqué à la pierre fondamentale une telle solidité que toutes les puissances, tous les efforts de l’enfer ne pourraient prévaloir contre elle. (Matth., XIV, 18.) Si le fondement s’ébranle, l’édifice ne peut que s’écrouler. Mais en vertu de la divine promesse, l’Eglise, fondée sur la chaire apostolique, ressemble à cette maison construite par le sage, laquelle brave impunément la pluie, l’inondation, la tempête, parce qu’elle est bâtie sur la pierre[14]. L’établissement d’une Eglise destinée à propager, à défendre, à perpétuer le royaume de Dieu, devait nécessairement exciter le courroux infernal; le prince des ténèbres devait s’armer pour renverser un édifice qui s’élevait, comme une forteresse redoutable, contre sa puissance. Simon, Simon, dit le Seigneur, Satan a désiré vous cribler tous comme on crible le froment; mais moi j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point. Je me suis fait ton soutien, ton appui; sois à ton tour l’appui, le soutien de tes frères, c’est en toi qu’ils doivent puiser la fermeté que tu tiens de moi[15]. Pourquoi, dans celle circonstance, le Sauveur ne prie-t-il pas pour tous, N. T. C. F.? Le danger n’était-il pas commun à tous les apôtres? N’avaient-ils pas tous également besoin de la protection divine, puisque Satan voulait les cribler tous? Pourquoi le Seigneur prend-il un soin spécial de Pierre? Pourquoi prie-t-il exclusivement pour le maintien de sa foi? Parce que ne formant tous qu’un seul corps, l’éclat des membres et du corps entier était assuré, si le chef était invincible; et chacun des membres ne devait se croire en sûreté qu’autant qu’il serait uni à ce chef, contre la foi duquel l’enfer ne peut rien. Jésus-Christ a prié pour le prince de l’Eglise, et l’efficacité de cette prière a obtenu pour lui une foi constante, inébranlable, capable d’affermir, non seulement les fidèles, mais les apôtres, les pasteurs du troupeau, et de les empêcher d’être les victimes de Satan. Maintenant, que la foi soit menacée, ébranlée même sur quelque point du globe, les fidèles de ces contrées n’ont rien à craindre, s’ils s’appuient fortement sur celui pour lequel Jésus Christ a prié, s’ils se retranchent derrière ce siége où la foi ne peut éprouver d’atteinte. Que l’ennemi rassemble toutes ses cohortes contre l’Eglise ainsi constituée; qu’il attaque le divin fondement sur lequel elle repose: qu’il renverse le pontife, qu’il le traîne en exil, qu’il le charge de fers : non seulement il ne prévaudra jamais, Jésus-Christ l’a dit, mais ses efforts tourneront à sa honte; la chaire de Pierre n’en souffrira pas plus que le rocher qui voit, au milieu d’une mer en furie, les vagues se briser contre ses flancs et retomber en écume, sans avoir produit d’autre effet que de les purifier, ou peut-être d’enlever quelques fragments déjà détachés et désunis. C’est pourquoi saint Jérôme disait: L’Eglise, fondée sur la pierre, ne peut être ébranlée par la tempête, ni renversée par les vents ou les orages (In Isa. IV) ; saint Hilaire: Le caractère propre de l’Eglise, c’est de vaincre toutes les fois qu’elle est attaquée (De Trinit., lib. VII); saint Jean Chrysostome : L’Eglise est plus forte que le ciel, puisque le ciel et la terre passeront, tandis que les paroles divines ne passeront pas, et que parmi ces paroles se trouvent celles-ci : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. Si cette parole vous paraît suspecte, ajoute le saint docteur, croyez du moins les faits, (Homil.)
Compulsez, N. T. C. F., les annales de l’histoire; cherchez dans quels lieux de la terre le dépôt de la foi s’est conservé toujours intact : vous verrez que c’est dans les Eglises qui se sont tenues le plus fermement unies au saint siège; que si le schisme et l’hérésie sont trop souvent parvenus à ravir quelques dépouilles, c’est parmi ceux qui affectaient une sorte d’opposition à la Mère-Eglise, ou qui n’y tenaient que par des liens simulés. Considérez le saint siège lui-même: vous le verrez, bien que souvent arrosé du sang de ses pontifes, triompher tour à tour de la fureur des persécutions, des assauts de l’hérésie, de l’invasion des barbares, des entreprises des puissances temporelles, des séditions et des mouvements populaires; vous le verrez, consolidé en quelque sorte par ces différentes agressions, vérifier, dans tous les temps, cette parole du Sauveur: Celui qui se heurte contre cette pierre s’y brise, et celui sur lequel elle tombe en est écrasé[16].
Pierre n’est pas seulement un fondement solide qui doit soutenir l’Eglise de Jésus Christ; un rempart inexpugnable qui doit la défendre contre les assauts de l’ennemi; c’est aussi un pasteur à qui le souverain Maître a confié tous ses pouvoirs, afin qu’il puisse diriger et paître son troupeau, l’amener et l’introduire dans le céleste bercail. C’est pour cela que lui ont été remises les clefs du royaume des cieux[17], c’est-à-dire la suprême autorité, la souveraine puissance; c’est pour cela qu’il lui a été dit : Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel[18] ; c’est-à-dire: Tu exerceras la souveraine judicature ; nul ne pourra se soustraire à tes jugements; tout sera soumis à ton pouvoir, même tes frères, tes collègues dans l’apostolat. Et, pour confirmation de cette prérogative, le Seigneur, après avoir provoqué de son apôtre la confession de son amour, comme il avait déjà provoqué celle de sa foi, l’établit pasteur suprême de toute son Eglise. Pais mes agneaux, lui dit-il, pais mes brebis[19] ; dirige et gouverne tout mon troupeau, les petits et les mères, les peuples et les rois, les fidèles et les pasteurs.
Ceux-ci, dit Bossuet, pasteurs à l’égard des peuples, brebis à l’égard de Pierre, vénèrent en lui le représentant, le vicaire, la personne visible de Jésus-Christ[20]. Pais mes agneaux, pais mes brebis: ces paroles signifient en d’autres termes: Je suis venu sur la terre pour réunir tous les hommes dans le cercle d’une même foi, dans les liens d’une même charité; quelles que soient les lois qui les régissent, les mœurs qui les distinguent, les barrières qui les séparent, les langues qui les divisent, mon but est de ne faire de toutes les nations qu’une seule famille, que je veux réunir dans le ciel, et à laquelle vous, mon représentant, vous tiendrez lieu de père tant qu’elle habitera ce monde, séjour de son pèlerinage. Ce sont mes enfants: je vous les recommande; prenez-en soin comme s’ils étaient les vôtres; nourrissez-les du pain de la saine doctrine; donnez-leur des guides sûrs et fidèles, qui les dirigent dans les voies de la justice et de la vertu, qui les forment pour le ciel où je les attends; couvrez-les de votre protection paternelle; défendez leurs âmes contre toute espèce d’attaques; aimez-les comme je les aime, et s’i1 le faut, soyez prêt à sacrifier pour eux votre vie, comme j’ai moi-même sacrifié la mienne. Que votre cœur se dilate; qu’il devienne aussi vaste que l’univers; car, partout où il y a des hommes, je veux trouver des enfants que je devrai à votre zèle et à vos soins. Investi de la grande charge pastorale, Pierre avec tous ses héritiers est devenu le père de la famille chrétienne : de là ce beau nom de pape, qui lui est donné aujourd’hui dans toutes les parties du monde, et qui n’a pas d’autre signification que celle de père.
Enfants dociles du pasteur des âmes, N. T. C. F., nous aimons à tourner nos regards vers celui à qui Jésus-Christ nous a confiés; et de même que des enfants redisent avec une sorte de fierté les titres de leur père, la fortune dont il jouit, les marques de distinction qui le décorent, les honneurs qui lui sont rendus, de même, aussi, nous redisons avec complaisance les prérogatives que notre Père commun a reçues do Dieu même, parce que la gloire d’un père rejaillit sur tous ses enfants[21]. Nous nous plaisons donc à redire avec saint Jean Chrysostome : «Pierre est le prince du chœur apostolique, la bouche des disciples, la colonne de l’Eglise, l’affermissement de la foi, le fondement de la confession, le pécheur de l’univers, qui retire le genre humain des abîmes de l’erreur, pour le remettre dans la voie du ciel. » (Homil. de decem talent.) Nous redisons avec saint Bernard: « Le pape, c’est le grand prêtre, le souverain pontife; c’est le prince des évêques, l’héritier des apôtres; c’est Abel par la primauté, Noé par le gouvernement, Abraham par la qualité de patriarche, Melchisédech par l’ordre, Aaron par la dignité, Moïse par l’autorité, Samuel par la judicature, Pierre par la puissance, Jésus-Christ lui-même par l’onction. C’est à lui que les clefs ont été données, que les brebis ont été confiées. Il y a bien d’autres portiers du ciel, d’autres pasteurs; mais lui porte ces deux titres avec d’autant plus de gloire, qu’ils lui appartiennent d’une manière plus spéciale et plus excellente. Les autres ont chacun le troupeau qui leur a été assigné; à lui seul ont été confiés tous les troupeaux qui n’en forment qu’un. Il est, lui seul, le pasteur, non seulement des brebis, mais des pasteurs, mais de tous.» (De considerat., lib. II, cap. 8.) A lui seul donc le droit et le soin d’instruire et d’envoyer dans toutes les parties du monde les évêques qui doivent, sous sa direction, conduire une portion de l’Eglise, à lui de les avertir s’ils se trompent, de les reprendre s’ils s’égarent, de les affermir s’ils faiblissent, de les déposer si par malheur ils prévariquent; à lui seul le droit et le soin d’évoquer de toutes les contrées de la terre et de réunir en concile les pasteurs, qui viennent témoigner de la loi commune de toutes les Eglises : signaler et proscrire les opinions nouvelles qui s’en écartent, et conférer ensemble sur la direction à donner au troupeau de Jésus-Christ; à lui seul d’approuver, de confirmer, ou même de changer et d’annuler leurs décisions. A lui enfin tous les pouvoirs de Jésus-Christ sur la terre, puisque c’est son autorité qu’il exerce, sa personne qu’il représente.
Ces prérogatives, d’ailleurs, N. T. C. F., sont comme autant de bienfaits tombés sur nous. Pierre n’a rien reçu pour lui-même: tout ce qui lui a été donné c’est pour nous, c’est pour tous les fidèles. S’il est devenu le premier parmi les autres, c’est pour être, par ses soins, sa sollicitude, le ministre de tous, le serviteur des serviteurs de Dieu. S’il a été posé comme le fondement de l’Eglise, c’est afin que, appuyés sur lui, nous puissions dire avec l’Apôtre: «Nous sommes la maison de Jésus-Christ.» (Hebr., III, 6.) Si le Sauveur a prié pour que sa foi ne défaille jamais, c’est afin qu’il affermisse ses frères (Luc., XXII, 32), et qu’unis à lui par les liens de cette toi, nous ne soyons point emportés par tous les vents des doctrines humaines. (Ephes., IV ,14) Si les portes de l’enfer ne peuvent prévaloir contre son siége, c’est afin qu’il soit un bouclier impénétrable, à l’abri duquel nous puissions repousser les traits enflammés de l’ennemi. (Ephes., VI, 16.) S’il a été constitué pasteur universel, c’est pour que le troupeau de Jésus-Christ puisse, sous sa conduite, parvenir au bercail. S’il a reçu les clefs du royaume des cieux, c’est pour nous en ouvrir les portes et nous donner le droit d’y régner un jour.
Tenons-nous donc étroitement serrés, N. T. C. F., autour de cette chaire apostolique; entourons-la de notre vénération et de notre amour; qu’il y ait entre elle et nous l’union intime qui existe entre la tête et les membres; et les promesses qui lui ont été faites s’étendront jusque sur chacun de nous. Quelle que soit la violence des orages et des tempêtes qui grondent autour de nous, nous n’aurons rien à craindre; nous reposerons paisiblement dans le calme de la foi, parce que nous serons assis sur la pierre inébranlable. .
Donné à Reims, le 15 juin 1850.
[1] Ecce quam bonum est et quam jucundum habilare fratres in unum... Quoniam illic mandavit Dominus benedictionem et vitam. (Psal. CXXXII, 1, 2.)
[2] Ubi enim sunt duo vet tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum. (Matth., XVIII, 20.)
[3] Mea doctrina non est mea, sed ejus qui misi me. (Joan., VII, 16.)
[4] Non mandatum novum scribo vobis, sed mandatum vetus quod habuistis ab initio. (1 Joan., II, 7.)
[5] Sed licet nos, aut Angelus de cœlo evangelizet vobis,.. Si quis vobis evangelizaverit prœter id quod accepistis, anathema sit. (Galat., l, 8, 9.)
[6] Super hanc petram œdificabo Eeclesiam meam, et portœ inferi non prœvalebunt adversus eum. (Matth., X VI, 18.)
[7] Euntes ergo, docete omnes gentes, baptizantes eos in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, docentes eos servare omnia quœcumque mandavi vobis, Et ecce ego vobiscum sum omnibus diebus, usque ad consummationem sœculi. (Matth., XXVIII, 19, 20.)
[8] Qui vos audit me audit, et qui vos spernit, me spernit (Luc., X, 16.)
[9] Ego rogabo Patrem et alium Paracletum dabit vobis, ut maneat vobiscum in œternum, Spiritum veritatis... Apud vos manebit et in vobis erit... Ille vos docebit omnia, et suggeret vobis omnia quœeunque dixero vobis. (Joan., XIV, 16,17, 26.)
[10] Ipse dedit quosdam quidem apostolos, quosdam autem prophetas, alios vero evangelistas, alios autem pastores et doctores... in œdificatianem corporis Christi: donec occurramus omnes in unitatem fidei et agnitionis filii Dei... ut jam non simus sicut parvuli fluctuantes, et circumferamur omni vento doctrinœ in nequitia hominum, in astutia ad circumventionem erroris. (Ephes., IV, Il et seq.)
[11] Tu es Petrus, et super hanc petram œdificabo Ecclesiam meum. (Matth., XVI, 18.)
[12] Ubi Petrus, ibi Ecclesia. (Ambr.., in psalm. XI.)
[13] Est Ecclesia Dei vivi columna et firmamentum veritalis. (1 Tim., III, t5.)
[14] Assimilabitur viro sapienti; qui œdificavit domum suam supra pettam; et descendit pluvia, et venerunt flumina , et flaverunt venti, et irruerunt in domum illam, et non cecidit : fundata enim erat super petram. (Matth., VII, 24,25.)
[15] Simon, Simon, ecce Satanas expetivit vos ut cribraret sicut triticum; ego autem, rogavi pro te, ut non deficiat fides tua: et tu aliquando conversus confirma fratres tuos. (Luc.. XXII, 31, 32)
[16] Qui ceciderit super lapidem istum confrengetur; super quem vera ceciderit, conderet eum, (Matth., XXI,44.)
[17] Et tibi dabo claves regni cœlorum. (Matth, XVI, 19.)
[19] Pasce agnos meos... pasce oves meas. (Joan., XXI, 15, 16, 17.)
[20] Sermon sur l’unité de l’Eglise.
[21] Gloriam enim hominis ex honore patris sui (Eccli., III, 13)